Dans les rues dévastées de Gaza, la ville ne ressemble plus à ce qu’elle était. Pourtant, ce ne sont pas les immeubles effondrés qui hantent le plus les familles, mais les questions sans réponse. Chaque jour, des proches passent d’un bureau improvisé à un hôpital au bord de l’effondrement, puis à l’un des rares services civils encore debout, cherchant des noms qui n’apparaissent jamais. Parmi eux, une femme dont le mari a disparu alors qu’il tentait simplement de ramener un peu de nourriture. Elle avance avec cette détermination silencieuse de ceux dont la vie est suspendue entre peur et espoir. « Je ne sais plus si je dois l’imaginer revenir ou l’imaginer sous les ruines », murmure-t-elle.
Cet état de limbo est devenu insupportable. Les familles décortiquent des listes fragmentées, scrutent des photos effacées, espérant le moindre indice. Beaucoup ont dû identifier des corps rendus par les prisons israéliennes, où d’anciens détenus parlent de mauvais traitements si violents que certains restes en deviennent méconnaissables. D’autres se rendent dans les hôpitaux du sud, pour y trouver la même confusion. Même lorsque la guerre génocidaire marque une pause, une autre bataille se poursuit : celle de savoir qui est vivant, qui est détenu, et qui ne reviendra jamais — une cruauté silencieuse qu’aucun cessez-le-feu ne peut effacer.
Pour les parents à la recherche de leurs enfants et les époux attendant un signe de vie, les jours se confondent. Un père placarde des murs entiers de photos de son fils disparu, espérant qu’un passant le reconnaisse dans un refuge ou une clinique. Une mère raconte les heures d’attente à un checkpoint, après que son mari a tenté de rejoindre le nord : « Le silence qui a suivi sa disparition pèse plus lourd que les bombes. » Tous décrivent la même torture : vivre sans preuve de vie, mais sans preuve de mort. Dans ce vide, ni le deuil ne commence, ni la vie ne reprend. Gaza devient alors une ville de noms murmurés le soir, préservés uniquement par la volonté farouche de ne pas les laisser disparaître.
